« Ainsi l’image que l’on porte en avance ou en retard du monde.
A l’issue du trajet quelque chose en nous continue d’avancer. »

* (Erre [er] n.f. – XIIe « voyage, route » : de l’a. fr errer, de iterare > 1. errant. – manière d’avancer, de marcher. > allure, train, vitesse. LOC. Aller grand-erre, grand’erre, belle erre, à bonne allure. « Ils détalaient grand’erre et comme s’ils eussent eu les chiens aux trousses » (Gaut.). 2. (marine) – Vitesse acquise d’un bâtiment sur lequel n’agit plus le propulseur. Diminuer l’erre. LOC, Se laisser glisser, continuer sur son erre, > lancée. « Le nageur se laissa glisser sur son erre » (Giono). 3. au Plur. Erres, Traces (d’un animal). Les erres d’un cerf. HOM. Air, aire, ère, haire, hère, 1r…). Le Nouveau Petit Robert, 1993

C’est un chemin de peintures, ponctué de mots, de textes : petits blocs blancs ou bornes, stations faisant écho, en strates superposées, aux alignements des façades.

La figure des bâtiments y siège à toutes échelles détachée contre le plan du ciel qui tient lieu d’horizon, bleu invariant et bleus variant en intensité selon l’aplomb et l’humeur des murs, des fenêtres et des balcons. Personne en vue.

« Les immeubles, le livre, le tableau comme images de nous enfin rassemblées. »1

Ici, des ensembles dont les couleurs, en jacquard, se souviennent d’un costume d’arlequin, là une arcade dont l’ombre retient les bribes d’un quotidien, ailleurs, une résidence bardée, caparaçonnée, de fer et de verre, et plus loin encore l’angle rude du béton gris ou les géométries acérées d’un gymnase posé sur une bande de vert cru.

« En devant de soi le monde confus se dilate, en dehors de tout langage fixé ou de tout usage. J’imagine un faisceau isolant dans l’étendue opaque, épaisse, quelque chose qui ressemble à la possibilité d’un lieu. »1

Le gris du béton, qui de loin exprimait une dureté têtue, se révèle être, de plus près, un jus granuleux, effet de glacis qui s’épanche sous le flux de l’essence. Le ciel procède bien souvent d’un recouvrement opaque et dense qui mord et bave, par endroits, sur les tracés tendus et les poches végétales. Les lignes même de ces architectures, qui semblent tirées au cordeau, sont pourtant d’abord hésitantes et tremblées, les perspectives chahutées. Le bâtit est d’abord ici organique : c’est un corps et une substance.

Ces structures linéaires emboîtées, enchâssées, ces surfaces découpées de mille et une ouvertures, ces charpentes et ces volumes éperonnant l’horizon, ces écrans de projections où se déposent des motifs sériels sont d’abord – sinon des portraits ou des blasons d’un monde urbain – des cribles où s’exercent , sous les gestes de celui qui les invente, toutes les combinaisons sensibles de ce que les clichés glacés , glanés au long des routes, ne contiendront jamais de distance et d’impureté.

« Il se pourrait qu’un immeuble ne soit qu’un point culminant dans notre pratique des périphéries, maintenu dans le mouvement et le bruit par la dimension, la disposition spéciale, l’évidence essentielle de sa silhouette. Quelque part émergeant de la réalité « chinoise », déjà littérature. »1

Car ce n’est pas tant les villes ou les cités qui surgissent et s’imposent sur ces papiers et sur ces toiles, mais bien la peinture.

1 – Les citations sont extraites de « le livre, l’immeuble et le tableau », Jeremy Liron, éditions Publie.net, 2008.

Philippe Agostini, commissaire de l’exposition.