2011 – Béton poétique, par Julie Portier in Le Journal des Arts.

Comment qualifier le travail de Jérémy Liron (né en 1980), exposé à l’Hôtel des Arts de Toulon, sans convier l’intuition qu’il se démarque dans le grand retour à la peinture qui s’observe aujourd’hui chez les jeunes artistes ? Jérémy Liron peint des architectures modernistes, le plus souvent des immeubles, presque toujours entourés de verdure. La répétition du sujet pourrait suggérer une filiation du côté de la photographie documentaire des Becher. Mais il n’y a aucune ambition d’archiviste dans cet apparent répertoire où la cité radieuse et la villa Noailles figurent à titre d’exception parmi des architectures anonymes, banales tours d’habitations dont certaines sont de pures inventions comme cette barre d’immeuble accueillant une fresque de Fernand Léger (paysage n°67). Aucune revendication sociale n’est donc à déduire du motif, qui est extrait de sa réalité par l’effacement de tout indice contextuel, y compris de la présence humaine. En se détachant sur un ciel bleu immuable qui occupe en couche épaisse la partie supérieure des toiles de Liron, ces emblèmes en béton armé d’un urbanisme décrié accèdent singulièrement à l’intemporalité. Purs sujets de peinture, ces architectures, dessinées à main levée dans une perspective tronquée, sont baignées d’une lumière qui semble n’être que prétexte à l’élaboration de blancs lumineux et ombragés où se traduit, avec certitude, la paternité de Matisse. Cet éclairage surnaturel laisse dans l’ombre les premiers plans arborés tantôt figurés par une masse sombre et informe, presque inquiétante – une interprétation romantique qui ferait oublier que cette nature est une construction humaine autant que celle qui occupe le second plan. Pour qualifier la peinture de Jérémy Liron, le plus juste serait encore de parler de paysages – c’est avec cette littéralité que ses titres les désignent – , qui héritent de cette ambivalence, notable chez les Flamands du XVIIe siècle, entre relevé méthodique et interprétation chimérique. Il est à ce titre éclairant de préciser que ces paysages (qui ont vu naitre sa génération), l’artiste les a aperçu défilant par la fenêtre d’un train au cours de voyages réguliers. Ces immeubles surgissant des arbres sont des souvenirs ensuite photographiés, un arrêt sur image. Ainsi Gilles Altieri, directeur de l’Hôtel des Arts et fin connaisseur de peinture, pointe-il l’empreinte de l’image cinématographique chez cette génération qui amorce le renouveau du médium en s’inscrivant dans une longue tradition de peinture. Et c’est le cas de Jérémy Liron qui, dans l’embrasure d’une fenêtre ou l’ombre d’un soubassement, multiplie les citations de la peinture abstraite de Piet Mondrian à Sean Scully. Ici la touche est précise, là elle s’abandonne dans la surface violemment brossée, plus loin elle laisse des coulures maîtrisées. Toutes les leçons de la peinture moderne semblent ici mises à profit dans ces compositions, qui manient savamment les contrastes et les tensions contenues par une saisissante harmonie.