2012 – Ce bruissement continu, par Florence Trocméin Poezibao/Le flottoir.
Perception du monde (Jérémy Liron)
Curieux comme certains livres font des ronds dans l’eau de la conscience, longtemps. Je ressens cela concernant Bergounioux qui a sensiblement modifié quelque chose de mon approche dans plusieurs domaines, celui de la recherche principalement. Je ressens cela également avec le petit livre de Jérémy Liron, en l’image le monde. Il fonctionne en écho avec le livre médiocre d’Oliver Sacks et donne aux faits relatés platement par ce dernier quelque chose d’infiniment plus profond et parlant. Ainsi : « Le monde se pose comme un chantier à l’œil de celui qui n’en finit pas de le recréer : fini, infini, plat comme une image ou bien tridimensionnel, fait de deux parts, fini et non borné comme le dit la science actuelle ». (18)
Brève discussion par mail avec Jérémy Liron qui m’écrit que Didi Huberman a tendance à écraser par sa puissance un peu toute la réflexion contemporaine sur l’image (ce ne sont pas exactement les propos de J. Liron, plus mesurés !). Sans doute, mais des petits livres, accessibles et denses comme le sien, ont toute leur place à côté des sommes de Didi-Huberman, plus longues à lire, à digérer, à extraire. Et surtout, ce qui me semble crucial, on sent que Jérémy Liron écrit à partir de sa pratique de peintre et il se pourrait que cela change beaucoup de choses. Sacks distingue très clairement la connaissance descriptive, et la connaissance par expérience : « elle avait compris qu’entre la « connaissance descriptive » et « la connaissance directe », comme disait Bertrand Russell, s’étend un gouffre si infranchissable que rien ne permet d’aller de l’une à l’autre » (Sacks, 145)
→ pour en revenir à la citation de Jérémy Liron, dire aussi que c’est sans doute un des rôles de l’art (peinture, photographie, lecture, musique) de nous aider à voir autrement ce monde, non seulement à le voir /recevoir /percevoir différemment mais aussi donc à le construire différemment. Une image riche, vivante versus une image plate et morte dont on redoute qu’elle soit l’ordinaire de la conscience de nombre de nos contemporains uniquement gavés de publicités, de clips, de représentations vulgaires et artificielles. Là aussi peut-être une explication au fait que les jeunes sont rarement attirés par le spectacle de la nature, que c’est un goût qui se forme, qui vient plus tard, précisément parce qu’il se construit petit à petit et qu’il est d’autant plus riche qu’il est « informé ». Certaines toiles de Constable, certains poèmes de Réda ou de Droguet nourrissent de l’intérieur la perception que l’on peut avoir par exemple du spectacle de la mer ou du ciel. On voit plus après qu’avant ! Lire plus, regarder plus pour voir plus (hum !)