2017 – Rencontre avec l’artiste Jeremy Liron, par Brice Lecomte pour Singulart

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Rencontre avec l’artiste : Jeremy Liron, peintre
Vous en quelques mots ?
Je m’appelle Jeremy Liron, je suis né à Marseille. Après m’être formé aux Beaux-arts dans le Sud, à Toulon, puis à Paris, puis avoir passé une agrégation en art, je me suis installé à Lyon où je vis et travaille actuellement. J’y partage mon temps entre l’atelier, l’enseignement, l’écriture, arpentant la ville et sa banlieue appareil photo en main et carnet de notes dans la poche. Si je pratique le dessin et la sculpture, l’installation, la vidéo à l’occasion, mon médium de prédilection reste la peinture. Mais je dois dire que je ne mets pas vraiment de frontières, usant de ce dont j’ai besoin sur l’instant comme on choisit ses mots. J’aime m’exprimer à l’échelle de l’espace par l’installation, envisageant toujours les expositions comme des scénographies, attentif à la manière de donner à voir, à la sensation. J’ai été influencé par le théâtre et les idées d’art total et cela je crois s’insinue dans ma manière d’envisager l’art.
 
Votre singularité artistique : quels sont les thèmes majeurs que vous explorez dans votre travail ?
Depuis un peu plus d’une dizaine d’années maintenant, je poursuis une série de tableaux intitulée Landscape(s) qui est la partie la plus identifiée de mon travail. Série qui se développe en une suite de tableaux de formats souvent similaires s’apparentant à des fragments où l’architecture dans ses relations avec le paysage ou la végétation tient le premier rôle. Mais en réalité, derrière l’apparence première un peu anecdotique parfois, ce qui m’intéresse est plus impalpable et a trait à quelque chose que l’on pourrait nommer « sentiment de présence » et qui investit le travail du regard. Qu’est-ce que regarder, qu’est-ce que surprendre une image à l’intérieur de l’espace du regard, qu’est-ce qui traverse le regard ou le met en perspective ?
C’est pour cela que m’intéresse l’apparent ordinaire, la réalité nue, opaque et familière à laquelle la mémoire s’accroche. Là où peut-être les mots achoppent.
D’autres séries de travaux explorent de manières similaires le travail de la mémoire à travers la répétition (tentative d’épuisement d’un souvenir) ou la statuaire et la ruine (archives du désastre) et l’image comme expérience ou phénomène (les images inquiètes). Mais tout cela est naturellement moins schématique et plus imbriqué, les choses se déployant de manière moins linéaire que rhizomique.

 Votre rencontre avec l’art : comment vous vous êtes intéressé à vote medium ?
Toute conscience est rétrospective. Vous ne décidez jamais de vous engager dans une pratique. Toute décision formelle ne vient qu’attester d’investissements inconscients, instinctifs, de nécessités vécues comme vitales agissant en sous-main. Quand je me suis inscrit aux Beaux-arts en 2000 ou 2001, je ne faisais que poursuivre une perspective d’enfance, un enchaînement causal, une pente naturelle dont les déterminants m’échappent parce qu’ils remontent à un temps où je ne me posais, ne pouvais me poser la question. Plus tard vous êtes devenu artiste et le reconnaissez comme la seule façon de vivre qu’il vous était possible. Pourtant, je ne suis pas issu d’une famille qui fréquentait les expositions, pratiquait ou achetait de l’art. Et cela restera mystère qu’un enfant un jour s’investisse ou s’installe dans une façon d’être au monde plutôt qu’une autre. Que là où des dizaines d’autres passent sans prêter attention, lui s’arrête à une image, y plonge le regard plus longuement et se fascine à l’âge des premiers amours pour Van Gogh, Cézanne, Rembrandt, Corot, Le Greco ou Vermeer. A quinze ou seize ans je regardais aux nuages comme à des glacis de peinture avec quelques empâtements où accrochait la lumière, bref, je traduisais tout en tableaux. Il en est resté cet attachement naturel à la peinture qui me fait encore aujourd’hui regarder avec insistance ou une manière spéciale puis avancer vers une toile, sans juger ça trop aberrant, un pinceau à la main.
 
Quelles techniques utilisez-vous ?
 
Si la peinture à l’huile sur toile ou papier reste la façon centrale avec temps d’élaboration long, travail de reprises, matières et empilement, il m’arrive fréquemment d’avoir recours à des techniques plus légères d’encre, de lavis, de dessin. Parfois le corps réclame un investissement plus physique et je passe des semaines à travailler la sculpture, le bois ou le métal, à travailler à des scénographies.

Vous pouvez inviter 2 artistes pour dîner, qui choisissez-vous ?
La décision est délicate. Il y a tant d’artistes – et de très différents – que j’admire. Et au fond peu importe la personne, c’est avec leurs œuvres que je dialogue quotidiennement m’entourant de catalogues, visitant des expositions, retrouvant certains gestes, certains accords. C’est encore avec mes contemporains que je préfère m’attabler et refaire le monde de longues soirées, comme je le fais parfois. Et pourtant, si j’insiste un peu, tournant l’invitation en tête, je me dis que ceux qui me sont les plus mystérieux et auxquels je dois le plus, considérant que je ne fais que poursuivre sans bien savoir pourquoi au fond le geste qu’ils ont initié il y a des milliers d’années et dont chaque génération a ensuite pris la charge, c’est à la compagnie des dessinateurs de Lascaux ou Chauvet, à leurs prédécesseurs mêmes que j’aimerais me joindre. Je m’imagine dans un coin, accompagnant je ne sais quelle cérémonie, dans les chants ou le silence, dans les lumières presque sous-marines de torches dansant sur les parois, surprendre le premier geste, la première découpe d’une silhouette dressant alors sous les yeux cet animal aujourd’hui disparu : un auroch.